Maladies chroniques liées au travail. À l’occasion du mois national de la santé au travail, destiné à prévenir les accidents et les maladies professionnelles, La Toile des Recruteurs s’est intéressée au cas de la Nouvelle-Écosse. La province est, en effet, dans une situation difficile en matière de gestion des maladies sur le lieu de travail. Selon la loi provinciale sur l’indemnisation des accidentés du travail en vigueur, la douleur chronique est exclue du régime d’aide. Au final, des centaines d’employés en incapacité ou en souffrance vont au travail. Résultat inéluctable, la productivité chute… La situation est complexe et les responsables des ressources humaines ne s’y retrouvent plus. Explications avec Irene Campbell-Taylor, neurologiste clinicienne et consultante à Cape Breton Injured Workers Association*.
Comment les maladies chroniques liées au travail sont-elles prises en charge en Nouvelle-Écosse ?
La grande majorité des plaintes faites pour non indemnisations sont refusées en Nouvelle-Écosse. Les raisons ? Une loi aberrante : la loi sur l’indemnisation des accidentés du travail. La définition des douleurs chroniques dans cette loi est unique au Canada et diffère totalement de celle des autres États. Celle-ci stipule que toute personne souffrant d’une douleur chronique ayant une cause démontrée par preuve médicale n’a pas droit aux indemnités. Or, les travailleurs et les employeurs n’ont pas conscience de la situation. Combien même les employés font une demande d’indemnisation, si celle-ci est refusée, ils abandonnent sur le champ et retournent au travail, au détriment de leur santé, voire de leur vie !
Quelles difficultés les employeurs de Nouvelle-Écosse éprouvent-ils face à cette situation ?
Au Canada, on enregistre une perte de six milliards de dollars liée à la baisse de productivité des personnes atteintes de douleurs et de maladies chroniques liées au travail. Et la Nouvelle-Écosse est particulièrement frappée car c’est un État où les industries figurent parmi les plus dangereuses du pays : l’exploitation minière et forestière est notamment très néfaste pour la santé.
Avec cette loi, les employés sont forcés de retourner au travail sans amélioration de leur condition. Ils ne sont donc plus au maximum de leurs compétences et, dans ces situations, les employeurs connaissent une chute de productivité de 45 %. Le problème est donc plus lié au présentéisme qu’à l’absentéisme !
Vous dites que le présentéisme est un problème. Pouvez-vous préciser ?
Dans la plupart des cas, si les employés pouvaient prendre des congés d’une à quatre semaines, ils reviendraient en bonne santé. Mais pour l’heure, les travailleurs cumulent des problèmes qui, au final, se transforment en douleurs chroniques. Des personnes en souffrance qui travaillent sont sujettes, dans la plupart des cas, à des absences répétitives. Par conséquent, les entreprises connaissent un turn-over important et subissent des coûts non négligeables en embauchant des employés temporaires et en devant rémunérer des employés en arrêt maladie.
Ainsi, il coûterait beaucoup moins cher aux entreprises d’accorder des congés avant que le mal n’empire plutôt que de forcer les employés à retourner au travail à n’importe quel prix. Hélas, les responsables des ressources humaines suivent les consignes de la Commission des accidents du travail, et n’ont guère le choix d’appliquer ce traitement sous peine de payer des pénalités…
À ce titre, quel est le rôle de la Commission des accidents du travail ?
Dans les principes, la Commission des accidents du travail de la Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board of Nova Scotia) est un système d’indemnisation pour les travailleurs et les entreprises lui paient une assurance. Mais en réalité, les entreprises doivent tout de même payer 100 % des frais nécessaires pour soigner un travailleur blessé ou tombé malade dans le cadre de son travail, en plus des cotisations aux commissions des accidents du travail. Et la Commission recommande aux employeurs de replacer les employés à d’autres postes pour qu’ils retournent au travail rapidement. Mais placer un mineur souffrant du dos dans un bureau n’est pas logique. Le mal empire, sans compter la frustration de ne plus exercer le métier de son choix.
Quelles solutions proposez-vous pour améliorer cette situation ?
Le plus important aujourd’hui est d’aider les employés à reprendre leur emploi en bonne santé. Il ne faut ni les exclure du marché du travail, ni les forcer à travailler en souffrant, mais les aider à se soigner pour reprendre ensuite leur poste. Une infirmière ayant des douleurs au dos préféra souvent suivre un traitement pour pouvoir ensuite reprendre ses fonctions plutôt qu’être placée à un poste administratif dans un bureau.
Le système dans son entier doit donc être révisé et il est impératif de modifier la loi provinciale sur la protection de la santé et les accidents du travail. Pour cela, tous les acteurs clés de Nouvelle-Écosse doivent s’entendre sur le problème : les chefs d’entreprises, la Commission des accidents du travail, les responsables des ressources humaines, les experts de santé et les associations de travailleurs, devraient se retrouver autour d’une table ronde.
*Irene Campbell-Taylor a mené une conférence sur le thème « Douleur chronique : absentéisme versus présentéisme » lors du dîner du HRANS de Cap Breton le 16 octobre 2008.
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Les douleurs chroniques en bref
La douleur chronique est une douleur persistante. Elle fait, en effet, souffrir jusqu’à six mois après une blessure et la situation ne s’améliore pas dans la période normale de rétablissement. Le mal de dos ainsi que la dépression figurent parmi les douleurs chroniques les plus fréquentes. L’enjeu des douleurs chroniques liées au travail est de prouver que ces douleurs persistantes sont causées par l’activité sur le lieu de travail.