« Il est recommandé de changer de posture dix minutes par heure »,
Quelles sont les mauvaises postures que l’on peut aisément prendre au bureau ?
Elles sont principalement de trois ordres. En ce qui concerne l’utilisation de l’écran, contrairement à ce que l’on pourrait penser un grand format ne sous entend pas forcément moins de fatigue visuelle. Au contraire, un grand écran signifie souvent une plus haute résolution et qui dit haute résolution dit fins détails et petits caractères. Il n’est donc pas rare de voir alors les utilisateurs contraints de se pencher en avant pour décrypter leur écran. Cela entraîne des mauvaises postures du dos mais aussi une fatigue visuelle.
Lorsqu’on fait de la saisie de documents, bien souvent, les notes écrites sont situées à côté du clavier, s’ensuivent des rotations répétitives contraignantes pour la nuque notamment. La souris est parfois mal positionnée dans l’espace de travail. Trop haute, elle peut générer des inconforts à l’épaule. La position assise est également source de nombreux troubles. De mauvaises habitudes peuvent être adoptées pour diverses raisons comme s’asseoir sur une jambe ou ne pas s’adosser sur sa chaise.
Quelles sont les mauvaises positions auxquelles on pense moins ?
Celles concernant les poignets. Bien souvent, les personnes appuient leurs paumes sur leur clavier ou leur repose-poignet lorsqu’ils tapent. Cela peut générer des extensions. Tout au contraire, lorsqu’on tape, les tendons des muscles et des doigts qui passent par le poignet et l’avant-bras doivent se déplacer librement sans pression mécanique, que celle-ci soit occasionnée par le contact avec une surface dure comme le bureau ou les os du poignet. On devrait utiliser notre clavier comme si l’on jouait du piano, les paumes en l’air et reposer nos poignets uniquement entre les périodes de frappe.
Quels sont les principaux dangers de ces mauvaises postures au bureau ?
Elles peuvent toutes générer des troubles musculo-squelettiques, c’est-à-dire des problèmes affectant les ligaments, les muscles, les tendons, les nerfs, les vaisseaux sanguins ou les disques intervertébraux. Tous ces gestes pris isolément n’ont pas forcément de conséquences désastreuses sur le corps. Mais de mauvaises postures prolongées et/ou répétitives engendrent une contrainte qui à terme peut générer une lésion musculo-squelettique.
Où en sont les entreprises canadiennes sur ce sujet ?
L’ ergonomie au bureau est un sujet qui intéresse et beaucoup d’informations circulent. Toutefois, les organisations semblent manquer d’éléments concernant les risques des mauvaises postures en télétravail ou en déplacement. Souvent, elles estiment que l’environnement du télétravailleur ne relève pas de leur responsabilité, c’est pourtant leur rôle de prévoir les outils requis pour exercer dans de bonnes conditions.
L’aménagement du bureau fait aussi l’objet de normes, notamment la norme canadienne CSA Z412. Dans l’industrie, les manufacturiers de mobiliers de bureau ont également créé leurs standard BIFMA. La technologie ne cesse de progresser et nous en arrivons maintenant à une ergonomie passive. Partis du constat que de nombreuses personnes n’ajustaient pas leurs chaises, les manufacturiers ont réduit le nombre de manettes et développer diverses astuces afin que les chaises s’adaptent en partie seules au corps des utilisateurs. C’est par exemple le cas avec la chaise Sum d’Allsteel, dont l’appui-lombaire est formé d’une bulle se déplaçant verticalement dans le dossier afin de bien épouser la colonne lombaire de son utilisateur, qu’il soit grand ou petit.
Quels seraient vos conseils aux employeurs en matière d’ ergonomie au bureau ?
Un déménagement, un matériel trop vétuste… Il faut profiter de toutes les opportunités pour réfléchir en termes de santé et de sécurité. Elles doivent également repenser la façon dont elles conçoivent le retour sur investissement de certains achats. Si l’on regarde les coûts de fonctionnement d’un lieu de travail sur 30 ans, on s’aperçoit que 92 % de ceux-ci sont liés aux ressources humaines qui les utilisent, 6 à 8 % sont associés aux coûts d’opération (chauffage, électricité…) alors que seulement 2 à 4 % des coûts concernent la construction ou l’aménagement. C’est avec ce schéma en tête que les organisations doivent envisager leurs investissements. Une chaise moins onéreuse à l’achat peut aussi se révéler plus coûteuse à terme, si son usage rend malade et improductif.
Quelles mesures simples peut-on recommander aux employés ?
En premier lieu, il est recommandé de changer de posture au moins dix minutes par heure. On peut se lever, bouger sur sa chaise ou faire des petites pauses-exercices très discrètes. On peut s’étirer une jambe, faire des rotations des chevilles ou s’étirer le dos lorsqu’on se lève. Avec ces micro-pauses, on évite les postures statiques et on renouvelle l’apport sanguin. Si l’on est assis toute la journée devant son ordinateur, la posture debout dix minutes par heure est recommandée et vice et versa pour les personnes travaillant debout.
Pour éviter la fatigue oculo-visuelle, faire un petit exercice toutes les vingt minutes. Regarder au loin, à plus de vingt pieds, permet de reposer les yeux. On peut porter son regard au-dessus de son ordinateur ou regarder par la fenêtre. Fermer les yeux permet aussi de recréer le film lacrymal sur la cornée. En ré-humidifiant nos yeux, on évite l’inconfort associé à la sécheresse oculaire particulièrement présente dans les environnements climatisés. Et puis, on ne s’en rend pas compte mais lorsqu’on est très concentré sur un texte, on cligne deux fois moins nos paupières, ce qui contribue à assécher nos yeux.
(**Article tiré d’une entrevue avec Patrick Vincent, Ergonome CCPE, fondateur du cabinet d’expert-conseil Vincent Ergonomie, réalisée le 25 septembre 2009)